BERTOMEU Guy
Promotion 60/64

 
     
 

Fleur d'Oranger et Lavande

(Algérie / France 1966)

   

 

Toulouse septembre 1965 : L'école d'Architecture

            MANS, il s'appelait MANS comme dans ça commence. Il n'apparaissait jamais sans CARBONEL son siamois de frère.
            Par un après-midi écrasant, à la fin des vacances d'été, l'école des Beaux Arts de Toulouse "la Rose", se mirait dans une Garonne paresseuse.            
            Des murs de brique ombrageait une cour de pavés moussus ou s'agglutinait par grappes, la nouvelle cuvée d' étudiants… c'était la fin de l'été 1965.
            Des groupes hétérogènes réunissaient ce jour là , tous les "Admissionistes" : drôle. de nom.
            Ces étudiants aspiraient à être admis à "l'école Régionale d'Architecture"  Certains d'entre eux , les anciens-nouveaux s'étaient déjà présentés à l'examen d'entrée sans succès. Cette nouvelle session académique leur offrait, un autre départ
            Par amour-propre aujourd'hui ils resserraient leurs rangs pour se distinguer des " nouveaux -nouveaux" . Ces épithètes étaient attribué d'emblée par les" Anciens" , ceux qui avaient franchi avec succès la barrière de ce fameux " Concours d'Admission " .

         Mémoires d'outre-tombe :
            MANS et CARBONEL ? . Deux nouveaux sortis de nulle part, se révélèrent tout-à-coup dans cette foule de nouveaux hilares...
            J'avais déjà vu cette tête dans une autre vie et son copain avait une allure qui ne m'était plus inconnue… ça y est, j'y étais :
            L' E.N.P.A . Cap Matifou 1960/1962 ...l'exode d'Algérie … C'est ça !..
            Le bagne au bout de la baie d'Alger… Plus belle que celle de Naples. Je ne suis jamais allé à Naples-!..
            " L'Histoire" récente me rattrapait au milieu du brouhaha puéril d'un bistrot anonyme de Toulouse.      Dans cette capitale régionale du Languedoc - Roussillon, en France métropolitaine ces deux « zigottos » s'intégraient, sous mes yeux comme je l'avais fait l'année précédente pour " Construire le futur, selon les règles de l'Art..."
            Nous étions passés de la "dynamique" Aéronautique à la " statique" Architecture ; de l'air à la pierre … Quelle mutation surprenante !...
            Tout autour la lumière entrait à profusion par des fenêtres assez larges, bien réparties à hauteur de vélo, comme si elles étaient faites pour " Lobo ", lorsqu'il  venait nous observer, lors de ses inspections ... C'était une construction préfabriquée, sobre mais honnête.      
            Un samedi après-midi, LAMOINE donnait le dernier cours de la semaine avant notre libération hebdomadaire...
            Cahin-caha il arriva dans notre classe après déjeuner. L'air était chaud, l'atmosphère lourde d'impatience et le cours commença...
            Mon LAMOINE avait l'habitude de s'asseoir sur le bout de sa large chaise.
            En grand silence, nous écoutions défiler une liste de verbes irréguliers qu'ânonnait une victime en puissance, en cas d'erreur :
            To be … I Was… Been : être ; To Bite... I Bit ... Bitten : Mordre, on s'en rappelait de celui-là , par une méthode mnémotechnique évidente, Aie !...


            ABELLA Edgar.

            Après que LAMOINE se soit balancé, d'une fesse sur l'autre, l'air de rien, ABELLA s'en lâcha un solide, aussi puissant que bref, s'exclamant vainqueur: " Un à Zéro " comme dans une partie de " foot "...
            - "ABELLA !.. Kepting on Sunday " fût la réponse immédiate qui enclencha un éclat de rire général , retenu les fesses serrées . Edgar s'en foutait complètement, ses parents habitaient à Rabat au Maroc et ses seules sorties était à Noël et à Pâques...
            Mais déjà une volée de fidèles autobus dépassait la barrière principale. Ils arrivaient toujours à 14 heures 30 , montre en main et l'œil rivé sur la grande aiguille, chacun intimement guettait l'heure sublime. Les vitres elles aussi, en vibraient d'émotion ; ce son captivant émis par des moteurs qui embrayaient à la barrière, la première vitesse, puis la seconde … emplissait l'atmosphère d'une euphorie sans borne...
            Cette promesse de liberté imminente, nous électrisait tous …

            Les autres qui n'avaient pas déposé leur carte étaient punis de toute évidence. Etre consigné à l'école demeurait la seule sanction connue ; ça n'était pas compliquée ; sa mise en œuvre non plus d'ailleurs ..
            Pour exercer leur autorité à l'occasion, les enseignants avaient aussi ce droit de punir, sur simple avis verbal: "Puni dimanche!.."
            Une note de classe inferieure à 7/20… sans avis verbal, déclenchait le mécanisme automatiquement : " Puni dimanche !.." Les relevés de notes, compilés dans l'aquarium, suffisaient à identifier les futurs clients ...
            Autre exemple : au réveille matin, la consigne était stricte : " Ouvrir sa fenêtre"… pour ventiler le dortoir.
            Chaque lit avait sa fenêtre. Chaque élève avait en partie haute de son vestiaire une identification en grosses lettres : son nom et son numéro.
            Vers 6 heures 30 tous les matins, " Lobo " traversait les dortoirs d'un pas décidé... Il avait six bâtiments à visiter ...
            Tout élève pris encore au lit ou n'ayant pas encore ouvert sa fenêtre au passage du loup était : " Puni dimanche !.. " .
            Le tarif était connu, sans appel ni récrimination.
          

  Le prof d'Anglais


            Imaginez Alfred Hitchcok avec un peu plus de cheveux. Sa démarche de légionnaire bedonnant lui faisait balancer un vieux cartable. Il avait un teint blême et le regard circonspect, derrière ses lunettes trop grandes. Dès qu'il rentrait se faisait un silence de mort, on le craignait ...
            Ici nous avions l'avantage du terrain parce qu'il enseignait sa matière dans notre local de classes.         Elle présentait des rangées de pupitres d'écoliers avec sièges doubles à battants pour nous placer par binôme. Mon alter ego s'appelait ABELLA ; Edgar pour les intimes et c'était un élève aussi doué, qu'impertinent ...
            Sur le mur du fond, nos casiers cadenassés étaient juste assez volumineux pour ranger quelques livres et cahiers…
            Cantonnés là, ils avaient une vue panoramique aussi large que possible sur la majorité des va-et-vient entre la place de rassemblement, les toilettes et les principales aires de jeux. Ces endroits restaient le plus souvent déserts, investis par les seuls rêveurs du genre :           
Je lis mon bréviaire et je médite à l'ombre, pour disserter avec un premier de classe, sous l'œil bienveillant de l'autorité suprême…

 Les temps libres 


            Hors champ, c'était le calme relatif, notamment prés du "Cercle des élèves", un lieu ou les" bleus" n'étaient pas admis. Un havre de paix sous l'autorité exclusive des Anciens les plus vieux qui nous acceptaient par altruisme, à l'occasion ... Après les émois des premiers jours, la vie en pension s'organisait.    Les temps libres n'était plus prétexte à brimades et des tournois de handball s'organisaient sur des terrains stratégiquement populaires ou il y avait foule. Loin de" l'aquarium ", pas trop prés du Cercle, les bâtiments nous dissimulaient des vues lointaines et favorisaient l'esquive au besoin.
            A la fin des cours lorsque la chaleur s'estompait les équipes se formaient et les vedettes du stade se rassemblaient pour des matches interclasses ...
            Les T .M. contre les T.I. ; la tête contre les jambes, se disputaient de palpitantes parties ...
            Dans ces rassemblements d'arène, les centurions de la discipline n'osaient jamais s'aventurer…

La punition


            Traversant les eucalyptus, la brise soufflait sur un tableau d'affichage vitré en plein air. Il identifiait tous les mardis, la liste des punis, ordonnée par classe et par ordre alphabétique. Ces privilégiés seraient consignés à l'école en fin de semaine, sans pouvoir sortir, du samedi après-midi, au lundi matin .
            Le jeudi soir, ceux qui n'avaient pas été couché sur la liste, pouvaient déposer une carte verte au pied de leur lit, en guise de demande de permission...
            Le Pion, notre surveillant de dortoir, faisait alors ramasser ces cartes vertes, le soir même pour les remettre le lendemain à la Surveillance générale.

Les Bleus


         Le lendemain, ce lundi 3 octobre, les élèves de la cuvée antérieure à la nôtre, devenaient des Anciens à leur tour. Maintenant ils avaient le loisir de nousintercepter pour nous faire subir quelques brimades mineures, telles des larcins de cigarettes le plus souvent, pour nous ordonner de faire des commissions de tout genre pour chanter une chanson ou raconter une blague qui n'était jamais drôle à leur goût ; c'était un statut qu'ils exerçaient, plus qu'un asservissement, imposé par tradition …
            Parmi eux, il y avait MANS souvent accompagné de CARBONEL. Je les revois encore déambuler, côte à côte lors de paisibles promenades. Sans emmerder personne ils discouraient dans leur monde, en suivant leur bonhomme de chemin. Ils offraient l'image de garçons sérieux et indépendants malgré l'ascendant que leur statut d'ancien pouvait leur procurer .

La discipline


            Au niveau de la discipline, le Surveillant Général demeurait l'autorité supérieure proactive. Il parcourait ces hectares, en patrouilleur solitaire, sur sa bicyclette neuve, dont les freins grinçaient à dessein, je crois ...
            Les cheveux taillés très courts avec une face de lutteur, ornée d'une gitane au coin des lèvres, toujours éteinte. Il gardait un regard suspicieux bon enfant, au dessus d'une carrure de gorille à la démarche féline. Il s'appelait Monsieur MANDRILLON ; j'apprendrais plus tard qu'il était adjudant, retraité de la Légion étrangère ...(Faux!!! voir biographie de Mr MANDRILLON. Note du webmaster.)
            Dans sa tâche, il était secondé par un adjoint omniprésent ; un dénommé GARCIA, un petit maigriot sec, aux yeux bleus perçants fixés au dessus d'une petite moustache à la Errold Flynn. Son timbre de voix nasillard lui conférait un style particulier, indéfinissable . Ils utilisaient le même vélo, chacun à leur tour, pour faire des rondes aléatoires, c'est-à-dire n'importe ou n'importe quand, à partir de leur repère, qu'on appelait entre nous: " l'aquarium".

            Ce poste de contrôle au ras des fleurs était largement vitré tout azimut, comme une vraie Tour de contrôle au ras du sol.

           Le lendemain au réveil dans une ambiance sereine, sans pression disciplinaire, se profilait une matinée agréable, sans urgence.Chaque dortoir évacuait de petits groupes qui rejoignaient individuellement le réfectoire. Après le petit-déjeuner réparateur, l'effectif des punis se regroupait dans un local déterminé ...
            Pour passer le temps chacun s'occupait à sa guise, avançant- du travail en retard, comblant ses lacunes au besoin dans une parfaite monotonie…

            Certains jouaient aux cartes, silencieux en tête-à tête, d'autres au carré arabe *, évitant d'attirer inutilement l'attention du pion, aussi puni que nous ces dimanches matin de réclusion.

Cinéma


            Généralement, l'après-midi s'offrait en séance de cinéma. La vaste salle nous était ouverte en rémission ; chacun choisissait sa place, sans personne devant, pour apprécier la projection en toute quiétude... la place ne manquait pas.

            Cette fois là, à l'entr'acte " Lobo " fit une apparition inattendue, comme à l'accoutumé ; j'étais moi-même présent, pour confirmer cette anecdote :
            " Lobo " avait laissé sa bicyclette à l'entrée du cinéma bien en évidence, la pédale calée contre la bordure du trottoir, en pro'... pour signifier aux innocents, son omniprésence ...Trois copains bons-vivants palabraient en admirant l'engin :
    - "Pour mille balles( 2$ ), je ferais un tour de vélo!.. " Frondeur le deuxième annonce :
    - "Moi, pour cinq cent balles seulement, je le ferai!.. " Après un brin d'hésitation, le troisième s'enhardit:
    - " Moi, pour rien, je le ferai..." les deux acolytes, surpris par une telle déclaration le mirent au défi, séance tenante ... :
    - " Et bien, vas-y !.. "
            Je revois encore ce sourire vainqueur, au dessus de cette blouse bleue, un peu trop large ... Un blondinet aux yeux bruns rieurs, la bouche fendue jusqu'aux oreilles, la tignasse rebelle ...Il enfourche la bécane rutilante et entreprend tout de go, une ronde d'équilibriste, par la valse lente de rayons étincelants, suivie d'un sur-place éloquent, pédalant même à l'envers, pour démontrer son assurance et son savoir-faire ...
    - " Monsieur aime faire du vélo? "susurra "Lobo" de sa voix redoutée qui sortait de nulle part ...
            Sans se démonter, toujours en équilibre maintenant précaire :
    - " Oui M'sieur" avoua notre infortuné frondeur ...
    - " Et bien tu viendras en faire dimanche prochain, mon p'tit !.."
                        Fin du dialogue.

            Extérieurement gelés, l'entourage et les deux compères riaient aux larmes, intérieurement …

            Seul un rictus fataliste plissait les lèvres de l'infortuné, mais ses yeux rieurs explosaient d'une vanité conquérante, devant l'adversité

fatale ....

            A la reprise de la projection, le film n'avait plus d'importance ... mais comment raconter ça aux copains, le lendemain, devenait l'évènement ... Quelle histoire !...